Les clés du 1er chapitre
CHAPITRE I
Héloïse Hacket
Héloïse Hacket avait la réputation d'être une vieille dame originale. Elle habitait un charmant pavillon, au bout d'une impasse. Depuis peu, elle avait décidé qu'elle ne sortirait plus de chez elle.
Aussi, la dernière fois qu'elle se rendit chez la boulangère, elle accrocha discrètement près de la caisse une petite pancarte qui disait exactement ceci :
« Dame d'un âge certain cherche jeune femme de confiance pour faire les courses, le ménage et les repas deux fois par jour. Veuillez vous présenter lundi à 14 heures précises devant l'arrêt de
l'autobus nº 27. »
Au moment où Héloïse sortit de la boutique, l'étoile bleue dessinée dans le coin en haut à gauche de la petite annonce se mit à scintiller. Peu après, Alice entra dans la boulangerie et comme chaque
jour demanda une belle baguette bien blanche. Son regard fut attiré par un petit rayon de lumière sur sa gauche. Elle lut le message, resta un instant étonnée. Profitant de ce que la boulangère était
de dos, occupée à choisir son plus beau pain pour cette cliente qu'elle chérissait, elle décrocha délicatement, mais en vitesse, le bout de carton et le rangea dans sa poche. Personne n'avait rien
remarqué, tout au moins c'est ce qu'elle espérait.
Alice, depuis la mort accidentelle de son mari, s'était retrouvée seule et sans travail avec un enfant de huit ans. Cette proposition d'emploi était une aubaine ! Elle était tout de même intriguée.
C'était bien effectivement ce jour-là lundi, mais depuis combien de temps cette annonce était affichée... elle n'en savait rien : et puis le lieu, drôle d'endroit pour un rendez-vous. Elle décida
tout de même de s'y rendre. Cela tombait bien, c'était juste à côté de chez elle.
Le clocher du village avait à peine sonné le deuxième coup de l'heure qu'un petit personnage se présenta devant Alice et lui glissa un morceau de papier dans la main. Elle n'eut même pas le temps de
le voir qu'il avait déjà disparu. Alice se retourna, scruta les alentours. Rien ni personne. L'adresse indiquait la petite ruelle située derrière le panneau de l'arrêt de bus, la maison au fond au
numéro vingt-sept.
Et c'est ainsi qu'Alice entra au service de Mme Hacket.
Héloïse Hacket vivait dans cette maison depuis vingt-sept ans. Le pavillon était agencé sur deux étages. Le rez-de-chaussée se composait de trois pièces. À droite, un petit salon dans lequel étaient
installés face à face deux grands fauteuils cossus, séparés par un guéridon. Désormais, Héloïse passerait selon son désir la plupart de son temps dans un de ces fauteuils, un livre à la main, près de
la fenêtre. Une belle cheminée se tenait là, avec un dessus en marbre rose, entourée d'une grande bibliothèque fournie de nombreux livres. Hiver comme été crépitait le feu.
Dans la salle à manger trônait une table ronde, entourée de quatre chaises sur un magnifique tapis dans les tons bleus représentant un arbre de vie, une tapisserie à fines rayures grises ; aux murs,
quelques tableaux. Au fond, presque cachée par l'imposant escalier en bois massif se trouvaient la cuisine et la buanderie. À l'étage, trois chambres donnaient sur une belle salle de bains ; une
petite porte en bois permettait d'accéder aux combles.
Héloïse avait quatre-vingt-sept ans, mais elle paraissait plus jeune, grâce à sa grande taille et son allure svelte. Une chevelure blanche et soyeuse ornait sa tête. Les ongles de ses mains étaient
vernis, d'une couleur sombre de préférence. C'était sa dernière coquetterie.
Quand Héloïse avait engagé Alice, elle lui avait expliqué tout ce qu'elle devrait faire pour elle. La vieille dame lui avait remis une longue liste des tâches à exécuter dans la maison, mais aussi
concernant les courses : chaque jour, la jeune femme se rendrait au marché et lui rapporterait des fruits, des légumes, du poisson frais, du pain, des céréales etc. Héloïse avait obtenu des
commerçants de son quartier d'ouvrir un cahier à son nom où seraient notés ses achats quotidiens. À la fin du mois, sa banquière passerait payer les notes de chacun.
Le système fonctionnait très bien, il suffisait qu'Alice vienne chaque jour avec sa liste précise chez les différents marchands, qui lui remettraient en échange leurs plus beaux produits. Il faut
dire que la vieille dame était exigeante sur la qualité des marchandises, mais peu regardante sur les prix, aucune note de frais n'était contestée. Ses fournisseurs appréciaient Héloïse, ils se
faisaient une joie de lui vendre leurs meilleures denrées, d'autant plus qu'ils avaient bénéficié, grâce à la vieille dame, d'une publicité indirecte mais des plus efficaces.
En effet, depuis qu'Alice faisait les courses parfois extravagantes d'Héloïse Hacket, de nouveaux clients de plus en plus nombreux fréquentaient les magasins qu'elle avait choisis. On ne
saurait dire ce qui les attirait chez ces commerçants autrefois désertés ; peut-être étaient-ils curieux des demandes très spéciales de la vieille dame ou bien charmés par Alice, ou manipulés par
quelque sortilège. Eux-mêmes le savaient-ils ? La demande la plus originale d'Héloïse était de commander tous les jours une rose blanche d'une origine mystérieuse, Alice devait la lui rapporter
presque religieusement dans un papier de soie blanc.
... Lire la suite
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